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Historique

Ce document décrit le système des billets de confiance tel qu'il fut pratiqué dans le Gard en 1792. © Mme Christiane Lasalle

"Cahiers des Musées et monuments de Nîmes n°1 :
Bons Communaux révolutionnaires du département du Gard"
Reproduit ici avec l'aimable autorisation de l'auteur

Introduction

Au début de la période révolutionnaire, les réserves métalliques des Hôtels des Monnaies du Royaume sont épuisées, elles se reconstituent seulement pour les monnaies d'or et d'argent, les monnaies de cuivre restent rares, et sont, de plus, préférées aux assignats nationaux dont on se méfie, et que l'on accepte difficilement, et toujours en dessous de leur valeur.

Déjà, le 24 mai 1790, le substitut du procureur de la commune de Nîmes avait demandé la fondation d'une caisse patriotique pour échanger sans perte les assignats de 200 et 300 livres, il ne semble pas que sa proposition ait eu une suite.

Mais surtout, il n'y a pas d'assignat de faible valeur: l'émission décrétée le 29 septembre 1790 n'en prévoit pas d'une valeur inférieure à 50 livres et il faut attendre celle du 6 mai 1791 pour qu'apparaissent ceux de 5 livres, les fameux "Corsel".

Ces assignats ne répondent pas aux besoins de la vie courante (à titre d'indication, à Beaucaire, en décembre 1791, le pain blanc est taxé à 3 sous 7 deniers, le pain rousset à 3 sous 2 deniers et le pain bis à 2 sous 9 deniers, à Pont-Saint-Esprit, un journalier est payé 24 sols). Enfin, l'Hôtel des Monnaies de Montpellier n'a pas été désigné comme ceux de Marseille, Lyon, Toulouse et Bordeaux, pour être ravitaillé en cuivre (extrait des mines de Sain Bel, près de Lyon) pour frapper monnaie. Cette mesure entraîne de nombreuses protestations, dont celles du Directoire du Département du Gard, le 16 juin 1791.

1791

1 sol ou sou = 12 deniers
1 livre = 20 sous (sols) = 240 deniers
un journalier est payé 24 sous

Août 2002

le smic journalier moyen
net est de 25€

Un denier vaut donc 0.0868 €
Un sou équivaut à 1€
Une livre équivaut à 20.00 €

Aussi des fabricants (les frères Mazodier à Alais, François Guisquet et Bruguière aîné à Nîmes) décident-ils, à l'exemple des frères Monneron à Paris, de se procurer eux-mêmes le métal (à Saint Paul la Coste) et d'émettre, à leurs frais, des monnaies de billon. Mais les dépenses engagées (achat du métal, retenues financières de l'Hôtel des Monnaies de Montpellier) sont trop importantes, si bien que, malgré les encouragements du Directoire du Département (le 28 octobre 1791 pour les frères Mazodier, le 10 décembre 1791 pour les deux nîmois), ces expériences privées n'auront pas de suite.

Pourtant, le district d'Alais émet des monnaies de cuivre, que signale jean Mazard dans son "Histoire Monétaire et Numismatique Contemporaine, 1790-1963" tome 1, 1790-1848, Paris, 1965 (N° 175, page 60). C'est, dans le royaume, un exemple unique d'une communauté publique battant monnaie à son nom.

Billets de confiance

En effet, en dépit du coût de l'opération, il était plus facile d'utiliser le carton que le métal. A Bordeaux, en mai 1790, industriels et commerçants, ayant à payer leurs ouvriers, forment une société pour émettre des billets de faible valeur cautionnés par une réserve d'assignats de valeur correspondante permettant l'échange (il s'agit à cette date, d'assignats de 200 livres et plus).

Cet exemple est immédiatement suivi à Marseille, Lyon et Montpellier. Dans le Gard, une société de négociants et fabricants de soierie ouvre un bureau d'échange, le 15 septembre, à Nîmes, son exemple est imité en novembre à Saint Hippolyte et à Sauve, puis à Uzès, en décembre, par une société regroupant fabricants et marchands de bas, au cours de l'année suivante, à Saint Jean du Gard (mai), Bagnols (1er juin), Valleraugue, Saint Laurent le Minier (juillet), Grand Gallargues et Sommières (août).

Des sociétés philanthropiques comme "la société des Amis de la Constitution" à Aigues-Vives et à Calvisson, émettent des assignats de faible valeur, et c'est ce que font aussi des négociants isolés, comme Antoine Doux, aubergiste à Caveirac (1 sou), André Correnson à Saint Geniès de Comolas (2,5 et 10 sous), Pattus à Aigues-Vives (5 sous) et Barbusse à Uzès (5 sous).

Au début de l'année 1792, trois sociétés, cautionnées par leur municipalité, ouvrent un bureau d'échange, à Saint-Gilles (22 janvier), Pont-Saint-Esprit (2 mars) et Beaucaire (29 mars). C'est à Nîmes que les sommes engagées sont les plus importantes: 320 000 livres destinées à émettre 80 725 billets de 3 livres et 73500 billets de 20 sous, sous la responsabilité de la plupart des industriels de cette ville.

Cependant, ces billets émis à usage interne (par les industriels pour payer leurs ouvriers, par les propriétaires fonciers pour payer les journaliers) et sans reconnaissance officielle, rencontrent la même défiance que les assignats.

Les industriels nîmois s'en plaignent :

les ennemis du bien public ont cherché à susciter des troubles en insinuant que les négociants, membres de ladite société, n'auraient eu pour but dans l'émission de leurs billets que de jouir gratuitement de la somme de 2 millions à laquelle on suppose faussement se porter la valeur des billets actuellement en circulation.

Ils demandent et obtiennent, le 21 novembre 1790, que la municipalité décrète, sous peine d'amendes, le "cours forcé" des billets "dans la cité et son territoire" et prenne le contrôle du bureau d'échange en nommant 4 commissaires pour surveiller les opérations, arrêter les bordereaux et présenter les résultats au conseil tous les quinze jours.

La même évolution se constate à Uzès où le bureau d'échange passe le 11 mai 1791 sous le contrôle de la commune qui émet des billets en son nom.

Les bons communaux

Afin de remplacer les billets de confiance, dont la prolifération devient incontrôlable, l'Assemblée Législative décrète le 4 janvier 1792 une émission d'assignats de faible valeur (10, 15, 25 et 50 sols) et décide par la loi du 1er avril 1792 de laisser en circulation les billets émis par les sociétés et les particuliers, après le contrôle de leur caisse, mais de leur interdire toute nouvelle émission.

En revanche, les municipalités ont seules le droit de continuer les émissions, et même d'ouvrir de nouvelles caisses.

Dans le Gard, toutes les principales villes commerçantes vont émettre des billets communaux:

Ville(s) Date
Alais 19 avril 1792
Anduze 2 mai
Barjac 7 juin
Saint-Ambroix 11 juin
Génolhac 17 juin
Saint Florens 26 juin
Saint Jean de Valériscle 1er juillet
Notre Dame de Laval 8 juillet
Vézenobres, Saint André de Trouillas,
Sabran, Anduze, Saint André de Roquepertuis
22 juillet
Roquemaure 5 août
Aigues-Mortes 3 septembre
Villeneuve-les -Avignon 23 septembre

Après la délibération du Conseil général de la Commune, la décision est soumise, avant d'être appliquée, au visa du district, puis à l'approbation du Directoire du Département (certaines communes, comme Vézenobres et Sainte Cécile d'Andorge, ne semblent avoir demandé aucune autorisation).

Ce dernier apporte parfois des modifications et formule des observations: ainsi, il réduit le montant de la caisse de Saint-Hippolyte de 50000 livres à 30000 livres, celui de la caisse de Sauve de 30000 livres à 25000 livres, il s'oppose au cours forcé, imposé par la Commune de Saint-Gilles en stipulant que :

les billets ne peuvent être donnés en paiement qu'avec l'acceptation volontaire de celui qui les reçoit" (17 février 1792).

L'accord définitif est donné aux conditions suivantes:

  • les frais de fabrication seront supportés par la Commune
  • les billets doivent pouvoir être échangés au pair contre des assignats de 5 livres
  • la caisse doit être fermée par deux serrures et les clefs être conservées, l'une par le Maire, l'autre par les commissaires
  • la caisse doit contenir une somme en assignats équivalente au montant des émissions de billets, ces assignats ne devant en aucun cas être mis en circulation, ni employés à aucun autre usage
  • le conseil de la Commune doit nommer quatre commissaires pour surveiller la fabrication et l'échange des billets ainsi que l'état de la caisse, signer les bordereaux et rendre compte de cette gestion toutes les quinzaines au Conseil général de la Commune.

La suppression des billets

Le décret de la Convention du 8 novembre 1792 :

considérant la nécessité qu'il y a d'arrêter le plus tôt possible la circulation des billets au porteur payables à vue, soit en échange d'assignats, soit en billets échangeables en assignats
ordonne leur suppression à partir du 1er janvier 1793, la vérification des caisses, la destruction des billets, ainsi que des planches ayant servi à leur fabrication.

Ce décret fut publié et affiché dans le Gard le 22 novembre 1792.

Les raisons de cette suppression sont nombreuses: Ces billets, créés initialement pour résoudre les difficultés financières locales, se sont répandus, par les foires et les marchés, dans toute la France (les commerçants de Beaucaire ayant demandé l'autorisation de refuser les billets de confiance des départements lointains, lors de la foire de 1792, avaient reçu par l'intermédiaire du procureur syndic de Nîmes, la réponse suivante :

le ministre observe qu'il ne peut rien statuer sur les billets de confiance que chacun est le maître de refuser ou d'accepter.
Difficilement contrôlables, les billets de confiance sont, en revanche, faciles à imiter et à transformer (le capitaine Colson signale tous les moyens utilisés pour modifier les valeurs du bon par grattage, collage ou découpage...) et s'usent plus vite que les assignats (les billets d'Uzès, qui ont souvent été pliés, en raison de leurs grandes dimensions, sont déchirés à la pliure).

De faux billets de 5 sous à Nîmes, de 3 livres à Uzès, sont signalés le 28 décembre 1791 et le 12 avril 1792.

Cependant, aucune spéculation avec les assignats toujours présents dans les caisses n'a eu lieu dans le Gard (les plus célèbres concernent les administrateurs de la Maison de Secours à Paris), ainsi qu'en témoignent les contrôles effectués d'après la loi du 1er avril 1792, sauf à Uzès où les billets de confiance non vendus ont servi à acheter farine et pain pour être revendus à prix "d'emplette" (5 octobre 1791).

A Nîmes, le Conseil général repousse le 21 février 1792 une pétition :

"tendant à ce que les fonds déposés dans la caisse du bureau d'échange pour servir de gage aux billets de confiance, soient employés en entier ou du moins par moitié en achat de grains avec lesquels on formera un grenier public d'abondance"
Estimant cette demande illégale, et ordonnant que cette caisse soit fermée par trois serrures dont les clefs appartiendraient l'une au maire, la seconde aux commissaires désignés, la troisième au trésorier.

Enfin, ces billets, cautionnés par les industriels locaux et les municipalités, sont mieux acceptés que les assignats qui sont échangés en subissant une perte de 3 % sur ceux de 300 livres, de 2 % sur ceux de 200 livres, (au pair pour ceux de 100 livres et au dessous) et font une sérieuse concurrence aux petits assignats de 10 et 15 sous qui, à partir du 14 septembre 1792 sont mis en circulation (le Gard a été, grâce à Beaucaire, dès août 1792, le premier département à en posséder pour une somme de 200 000 livres). Enfin, nouvel appoint, les pièces de monnaie réalisées avec le métal des cloches confisquées d'après la loi du 22 avril 1792 sont distribuées par petites sommes au cours de cette année.

L'annonce de la suppression des billets de confiance entraîne un arrêt général de l'économie locale : les particuliers s'en dessaisissent et les commerçants les refusent. A Saint Ambroix, boulangers et cabaretiers ferment leurs boutiques, à quelques jours de la foire du 6 décembre.

Les nouveaux assignats sont distribués en nombre limité et les districts n'en seront ravitaillés qu'à partir de la fin de novembre (celui de Pont-Saint-Esprit devra attendre le 30 décembre pour recevoir pour 12 500 livres d'assignats de 10, 15, 25 et 50 sols).

Le Directoire départemental est assiégé de réclamations et demande des instructions à Paris. Par décret de la Convention Nationale du 19 décembre 1792, la date de suppression est reportée au 1er juillet 1793 pour les billets de 10 sous émis par les municipalités, au 1er mars pour tous les autres. Une nouvelle prorogation reportera ces dates au 1er août et au 1er avril.

Les règlements de compte

Chaque commune ou société émettrice doit récupérer tous les billets émis par elle et rembourser les possesseurs avec l'argent de la caisse. Simples en apparence, ces échanges vont entraîner une correspondance (avec franchise de port, jusqu'en juillet 1793) qui, dans certains cas, ne se terminera qu'en l'an V.

Un arrêté du département du Gard du 24 janvier 1793 précise en 24 articles le déroulement de ces échanges : un état de la situation après vérification des caisses doit être fourni par les districts ; les municipalités ou sociétés ont l'obligation d'ouvrir leurs bureaux tous les jours, pendant 18 jours après en avoir averti la population à "cri public", de pourvoir au déficit quand il y en a, d'annu1er les billets et de nommer des commissaires. Ces derniers sont chargés de classer les billets en 3 catégories, selon qu'ils ont été émis dans le district, hors du district ou hors du département, de les numéroter, de les inscrire en double sur des bordereaux (dont le modèle est joint) et d'envoyer au Directoire du Département les billets étrangers au district.

Les autres sont brûlés en place publique, en présence de la population. C'est une procédure très lente, ainsi qu'en témoigne la réponse des commissaires chargés de la vérification des échanges des billets de confiance au procureur syndic du district de Saint-Hippolyte, qui s'impatiente (15 avril 1793) :

plusieurs causes involontaires ne nous ont pas permis de nous occuper plus tôt de la vérification des billets de confiance, la principale et la plus juste vient de ce qu'avant d'entrer dans cet immense dédale, nous avons jugé convenable d'attendre que tous les envois, soit de la part de nos districts, soit de celles des divers départements qui ont eu des billets du nôtre, nous fussent à tous à peu près parvenus... Il y a déjà quelques jours que nous n'en recevons plus, ce qui nous a engagé à mettre de suite main à cet important et pénible ouvrage...(signé Abauzit et Raffin)

En fait, la procédure adoptée par les municipalités a été plus rapide, les communes ayant pratiqué des échanges entre elles, même lorsqu'elles appartenaient à des départements très éloignés les uns des autres, ainsi qu'en témoigne le registre des proclamations de la municipalité de Saint-Jean-du-Gard.

Du 10 février au 14 septembre 1793, cette commune a reçu des envois provenant de 124 communes (les plus lointaines étant Langres, Belfort, Digoin, Chatillon, Montluçon, Chaumont) qui représentent des sommes parfois minimes (quelques sols).

Uzès adresse le lot le plus important pour 408 livres 10 sols ; à ces envois succèdent parfois des retours de sommes équivalentes :

nous avons reçu avec votre lettre du 28 février pour 10 sous de billets de confiance de notre ville, nous vous en faisons le retour en deux billets émis par votre commune se montant à 15 sols.

Parfois, les billets adressés ne concernent pas la commune ; il y a confusion entre Saint Gilles du Gard et Saint Gilles en Vendée, il y a deux Saint Hippolyte. La municipalité du Cailar répond le 28 avril 1793 :

votre lettre vient de nous parvenir... vous vous êtes mépris en nous adressant les billets de confiance, quoique notre commune soit Cailar, les billets ne sont point à nous car jamais la commune n'en a fait, il faut croire que c'est une autre commune qui s'appelle Caila

Parfois, les billets annoncés ne sont pas tous présents, ou sont faux. Un décret de la Convention du 21 février 1793 dégage la responsabilité des municipalités ou sociétés sous le nom desquelles circulent de faux billets : les municipalités de Caveirac, Quissac, Tavel et Uchaud se plaignent auprès des administrateurs de ce que les billets de 20 sous, 2 sous 6 deniers, 5 et 10 sous circulant en leur nom sont des faux.

Le "brûlement des billets"

A partir du 1er mars 1793, municipalités et sociétés, après un contrôle rigoureux, suivi d'un procès-verbal du receveur du district, sont autorisées à brûler les billets remboursés, en présence d'officiers municipaux, des commissaires et de la population. Ces séances se renouvellent tout au long de l'année pour des sommes de plus en plus faibles (à Saint-Gilles, on brûle pour 3073 livres de billets le 28 avril 1793, pour 4275 livres 10 sols le 29 septembre, pour 2044 livres le 16 Prairial, 1124 livres 6 sols le 15 Messidor, pour 273 livres 13 sols le 16 Messidor).

Cependant, à la fin de toutes ces opérations, il peut encore rester de l'argent en caisse, correspondant à des billets perdus, que les municipalités utilisent pour des dépenses urgentes (achats de grain, de pain) mais un décret du 11 ventose an II les oblige à rembourser et à verser ces reliquats au trésor public.

Conclusion

Billets de confiance et bons communaux ont permis la continuité de la vie économique du pays. Ils témoignent de la solidarité et du patriotisme de ceux qui les ont émis, immobilisant des capitaux importants, et apportant leur caution soit financière, soit morale.

Le Gard, avec ses 38 villes émettrices, se situe dans la moyenne des départements français (le premier étant l'Orne, avec 94 villes émettrices, et le dernier les Pyrénées Orientales, avec une seule ville).

Enfin, ce département a toujours refusé d'émettre en son nom des billets de confiance et a répondu le 25 décembre 1792 à une demande du district d'Alès :

que l'établissement d'un bureau d'échange dans le département n'a pas paru praticable, attendu qu'il est une opération qui ne peut être salutaire et efficace qu'autant que tous les départements de la République en formeraient.

Cependant, son rôle modérateur et légaliste a permis d'éviter tout désordre dans le département.